LYRIK-KONFERENZ 3
„Vielleicht hilft es uns“, schrieb Dieter M. Gräf in seiner Eröffnungsmail an Alessandro De Francesco, „wenn wir uns über post-poésie Gedanken machen, klarer zu sehen, wo wir derzeit stehen?“ Beide Dichter beschäftigen sich mit Entgrenzungen, mit anderen Medien, und haben in einer Korrespondenz für den poetenladen ihr Verständnis von zeitgenössischer Dichtung vorgebracht und weiter entwickelt. Nun werden sich weitere Dichter und Lyrikexperten äußern.
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Jean-Marie Gleize, geboren 1946 in Paris, ist einer der wichtigsten zeitgenössischen französischen Autoren. Er leitet das Centre d'Études Poétiques an der École Normale Supérieure in Lyon. Seine Werke sind überwiegend bei Al Dante und Le Seuil veröffentlicht. Zuletzt publizierte er: Film à venir (Seuil, 2007). Er arbeitet derzeit an einem umfangreichen Poetik-Werk, Sorties.
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Jean-Marie Gleize, 1946 born in Paris, is one of the major contemporary French writers. He directs the Centre d'Études Poétiques at École Normale Supérieure in Lyon. His works are mostly published by Al Dante and Seuil. His last book is Film à venir (Seuil, 2007). He is presently working on a big volume of poetics, Sorties.
Drittes Statement | Jean-Marie Gleize
L'excès – la prose (Exzesse – Die Prosa)
Mon travail s'ordonne autour d'un petit nombre de notions qui ne font pas (y compris dans mes interventions critiques ou „théoriques“) l'objet de définitions arrêtées. Elles donnent lieu à un essayage qui relèverait peut-être d'une pensée pensive, ou pensivité en actes, en mouvements, sans point d'arrêt. De ces notions (Francis Ponge utilisait le mot „conceptacles“ qui pourrait convenir pour son allure concrète) je pourrais nommer quelques unes, dans le désordre (mais elles ne sauraient de toute fa&ccdil;on être „ordonnées“ bien qu'elles dépendent les unes des autres): littéralité, objectivité aveugle, opérations, dispositifs, montages et collages, réel et réelisme, noir, négativité, nudité, simplicité et simplification, versions et conversions, obscénité et pornographie, manifestations, actes et légendes, circonstances et circonstanciel, neutralité, platitude et planitude, surfaces, dehors, in-signifiance, présent
Je suis de ceux en effet qui soutiennent le projet littéral (puisque ce projet peut être compris comme un des pôles aimantant la poésie en France aujourd'hui, celui par lequel la „poésie“ a les meilleures chances de se dépasser elle-même voire de „sortir“ d'elle-même et du manège: vers un autre site, la „post-poésie“). Soit donc ce conceptacle (il forme avec „lyrisme“ un couple un peu bancal puisque „lyrisme“ traverse la nuit des temps et se trouve on ne peut plus historiquement et culturellement légitime tandis que „littéralité“ n'est qu'une supposition, une intention, une aspiration): littéralité, donc, a à voir à la fois – avec la réflexivité: le texte obéissant au souci de littéralité pense et dit ce qu'il fait, d'une fa&ccdil;on ou d'une autre, il dit ce qu'il dit en se disant, – avec l'intention réaliste: il dit ce qui est, ce qui a lieu, ce qui se passe, vise à le dire vraiment, exactement, scrupuleusement; il a donc à voir avec son impossibilité, comme avec le traitement négatif, critique, de tout ce qui fait écran, image. Ainsi l'écriture littérale serait tendanciellement iconophobe voire iconoclaste, donc là encore expérience de son impossibilité puisque l'image est toujours déjà dans la langue et que l'hypothèse d'un traitement in-figuré (ou non figuratif) du langage est hautement problématique, – par conséquence avec une critique de la poésie comme imposition de voiles, production d'écrans, procès de sublimation-esthétisation du réel, dé-réalisation (historiquement: „sur“réalisation). Le projet littéral est d'abord „désaffublant“ (la poésie est le plus affublé-affublant des usages esthétiques de la langue), puis dénudant. Mais on sait bien ceci: dans Aube de Rimbaud: „Je levai un à un les voiles“, „J'ai senti un peu son immense corps“. Car il y a toujours des voiles derrière les voiles. On n'échappe pas à l'analogie. A l'image, aux images. Même si l'on parvient à échapper à l' analogisme (qui est un peu depuis le romantisme la doctrine officielle de la Poésie comme culte de la „poésie“ et culte de l'„imaginaire“). Je dirai donc: La nudité n'existe pas. La réalité est hors d'atteinte. La littéralité est une postulation (voir plus haut: une hypothèse, un projet). Autant le poème, en tant qu'il est un objet, est par définition „achevé“, en tous les sens du terme, structurel et esthétique, achevé en sa perfection et parfait en son achèvement, autant la prose littérale ne peut se concevoir que dans l'ordre de l'inachevable. – on dira donc que l'hypothèse littérale s'identifie à un projet de prose. Lorsque je lis dans la Lettre-préface aux Petis Poèmes en prose, la célèbre question: „Quel est celui de nous qui n'a pas rêvé d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime
“ j'entends surtout la contradiction (à mes yeux) entre „poétique“, „musicale“ (poétique donc musicale, et inversement), et „sans rythme“ et „sans rime“. Comment une prose non rythmée-non rimée, privée de toutes les itérations qui la font prose-odique, peut-elle encore être dite „musicale“? Une fois ces soustractions accomplies, reste quoi? Une prose. Qui de nous n'a pas rêvé d' une prose? D'une prose non re-poétisée par l'image, sans comparaison ni métaphore, d'une prose „très prose“, comme dit Flaubert dans une lettre à Louise Colet, d'une „prose en proses“, comme je suggère qu'on dise, sans préjuger des formes que cette prose en prose pourrait prendre. – et ce pourrait être un dernier trait distinctifs de l'hypothèse et de l'activité littérale: elle n'implique aucune forme a priori: tout aussi bien les fragments de prose aplatie neutralisée de Leslie Kaplan dans L'excès-l'usine (POL, 1987), la mise en mouvement de morceaux de discours objectivés par Christophe Tarkos ( Oui, Al Dante, 1996), la grande prose stratifiée spatialisée d'Hubert Lucot dans son Graphe ou dans Phanées les nuées (Hachette-POL, 1981), le travail de Claude Royet-Journoud sur les unités minimales de sens (ou „énoncés“) dans sa tétralogie, celui de Denis Roche „après“ la poésie entre les proses factuelles des Essais de littérature arrêtée et la pratique photographique, celui d'Emmanuel Hocquard, archéologue, grammairien ou détective privé, mettant en relation des fragments ou „condensés de sens“ évidents/énigmatiques ( Théorie des Tables, POL 1992 ou Le commanditaire, POL, 1993)
„La“ prose (comme la poésie) n'existe pas.
Je reviens donc un instant sur la formule „prose en proses“ à partir de laquelle, ou plutôt vers laquelle je travaille. Elle désigne un programme et en tout cas pour moi une exigence. On voit qu'elle se compose logiquement, et négativement, à partir de deux formules génériquement admises de la forme en poésie: le poème en vers (et il suffit de dire le „poème“, puisque poème désigne historiquement d'abord la forme versifiée), et le „poème en prose“ (variation plus récente et unanimement admise, qu'on identifie volontiers comme l'une des formes modernes de la poésie). La formule „prose en proses“ efface donc d'abord la notion de poème, et suppose l'avènement d'autres types d'objets verbaux, tandis que le pluriel du second [proses] suppose que la prose de cette prose en proses est susceptible de formes multiples. Il s'agit donc de la pluralité des proses dans les pratiques qui se situent soit encore déclarativement à l'intérieur du cadre Poésie (et participent donc à l'extension du champ déjà polymorphe de la poésie moderne dont une des tâches depuis le début du XIXe siècle consiste à trans-former la poésie, à la „changer“, à l'„altérer“), soit déclarativement à l'extérieur de ce cadre, en imaginant une post-poésie désormais de plus en plus éloignée des questions formelles qui étaient celles de la „poésie“ reconnue et déclarée comme telle, et celles de la „poétique“ qui lui correspondait (Jakobson et ses disciples). La proposition „prose en proses“ veut donc opérer non seulement un effacement du poème mais quelque chose comme une „sortie“ hors de l'institution générique („Poésie“) à laquelle cependant nous continuons d'être soumis (par l'Ecole, la Bibliothèque, la Librairie, l'Edition, etc.).
Additionally to the present letter, here are some quotations from Jean-Marie Gleize, Simplifications/Conversions, a lecture gave at Cerisy International Conference La forme et l'informe dans la création moderne et contemporaine, 11-18 / 07 / 2008
„il m'est difficile de concevoir ma propre pratique d'écriture comme une pratique à strictement dire „poétique“ puisqu'elle est largement fondée au contraire sur le refus de faire place au présémiotique, au présémantique, à l'infrasymbolique, par une neutralisation tandancielle de toute forme d'expressionnisme formel (ou informel), et orientée par la revendication d'une forme de littéralité objective (ou d'une aspiration à cette objectivité).“
„je crois me trouver dans cette zone de propositions qui relèvent du post-poétique, soit du côté d'une indifférence aux questions formelles qui continuent d'agiter le champ poétique stricto sensu, celui qui cherche à confirmer et consolider le principe d'une spécificité formelle de la poésie, d'une littérarité poétique. A mes yeux cette question ne se pose pas, ou pour le dire de fa&ccdil;on abrupte: la (ou les) pratiques(s) postpoétiques se situent au-delà du principe de poéticité (donc encore davantage au-delà ou en de&ccdil;à du principe de métricité, néométricité, etc. telles qu'on les discute encore dans certains milieux.)“
„Si maintenant je cherche à confronter à ces questions les cinq livres qui constituent l'axe principal de mon activité d'écriture depuis la fin des années 80: un cycle publié entre 1999 et 2007 dans la collection Fiction & Cie que dirigeait Denis Roche aux éditions du Seuil (et désormais Bernard Comment). Il me faut dire d'abord autour de quoi „tournent“ ces livres; le mouvement qui les caractérise n'est pas un mouvement linéaire horizontal orienté, mais plutôt de fait un mouvement circulaire ou spiralé, avec retour sur les mêmes traces, et ceci sans commencement ni fin, donc une entreprise inachevée en devenir, sans doute une entreprise d'inachèvement.
Le dispositif pourrait s'entendre sous le titre global Simplifications, qui reprend une partie du titre d'un livre, Simplification lyrique, paru en 1987 chez Seghers. Il conviendrait en outre de considérer, paru en même temps que Les Chiens noirs et cinq ans avant Néon, le livre intitulé Non, (les deux titres Non, et Néon, étaient pensés pour jouer l'un avec l'autre), paru aux éditions Al Dante sous la couverture de la collection Niok (qui s'articulait à la revue Nioques fondée en 1990 précisément pour promouvoir l'émergence d'écritures „postpoétiques“). Les cinq volumes sont donc les suivants:
Léman, en 1990
Le Principe de nudité intégrale, en 1995
Les Chiens noirs de la prose, en 1999
Néon, en 2004
Film à venir, en 2007“
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L'ensemble, prose ou „non forme“ ou encore forme neutre impliquant plasticité / hétérogénéité générique, pourrait se définir comme un travail pratique d'enquête, d'investigation, à partir d'un sentiment d'énigme. C'est le A noir ou le noir du commencement, étant entendu que le commencement est permanent re-commencement dans un présent vécu comme „totalité de signes noirs“, donc un travail pratique d'enquête ou de recherche, des journaux d'expériences, ou encore des descriptions de protocoles expérimentaux, de dispositifs expérimentaux, consignant et „légendant“ un certain nombre d'actes, de faits, et des résultats ou bribes de résultats incertains et provisoires.“
„Dans le champ restreint où se situe mon travail, je crois percevoir deux directions. La première, très attestée dans la séquence des avant-gardes historiques, des dadaïstes à la revue TXT, se présente comme un courant ultra-idiolectal, glossolalique, cri-rythmique, phonétique-pulsionnel, polyglottique, cultivant la caco-phonie, la dysphonie, les déchirures, la torsion violente de la langue (ou „violangue“): les poétiques peuvent être diverses, voire contradictoires, mais il s'agit bien d'un pôle, ici très grossièrement désigné. La seconde pourrait être caractérisée par deux opérations complémentaires:
D'une part la neutralisation ou littéralisation de l'énoncé: on pourrait dire l'évitement du musical, du rythmique, du métrique, le refus des assonances et consonances, des résonances, la dé-lyricisation, donc.
D'autre part la mise en uvre de dispositifs de montages, assemblages de fragments, de séquences, recyclages d'énoncés prélevés. Opérations d'ajustements, agencements, disposition (et redisposition, réagencement, recontextualisation et réécritures).“
„Si maintenant je considère cette seconde famille, dont participe l'entreprise [simplifications], elle peut se diviser elle-même à nouveau en deux:
Certaines de ces pratiques postpoétiques travaillent exclusivement sur un matériau „extérieur“, lui-même déjà médiatisé (donné par, prélevé sur, l'environnement écranique et/ou discursif ambiant (télé, publicité, écrans urbains, web
), qu'elles re-médiatisent après l'avoir „traité“ (virussé, ou samplé-mixé, dévié-détourné tout en utilisant ses codes, ses styles, ses cadres, ses formats),
tandis que d'autres considèrent la réalité „objective“ dans ses deux dimensions extérieure et intérieure:
extérieure: la réalité sensible et factuelle, ou circonstancielle („je recopie la vie parce que je la vois“, „j'utilise pour écrire les accidents du sol“). Et ce travail de copiage ou description, ou redescription, reformulation, traitement schématique, superpositions, conversions, etc. se présente plutôt comme un travail de présentation/exposition (installation/monstration) que comme un travail de „représentation“ vraisemblable (selon les codes hérités des „réalismes“)
et intérieure: prenant en charge ce qui du visible n'est pas visible, est intérieur au visible, l'infime, le moins que rien, l'intime/infime („tout ce qu'il y a d'intime dans tout“). En ce sens l'écriture prend donc aussi en compte non seulement de l'inaper&ccdil;u, de l'imperceptible, du „détail“, du subliminal, mais aussi de l'expérience, du parcours biographique, des situations, ou actions, ou performances, datées-localisées, faisant l'objet d'opérations qui les reconfigurent (les formalisent): simplifications, connexions, etc. (voir plus haut, car ces opérations sont les mêmes sur les deux versants). Ces éléments dont certains relèvent de ce qu'on appelle „intériorité“ (voix intérieures ou intériorisées) ne sont jamais traités de fa&ccdil;on expressive, du point de vue de l'expression de l'affect, comme c'est le cas toujours en régime ‚lyrique‘.“
Die Lyrik-Konferenz wird an dieser Stelle mit weiteren Teilnehmern fortgesetzt. Es wäre wichtig, eine Übersetzug auf Deutsch oder Englisch anbieten zu können. Für Unterstützung in dieser Hinsicht ist der poetenladen dankbar.
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Jean-Marie Gleize 23.01.2009 |
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